Talbi, libre penseur de l’islam
Mohamed Talbi, tunisien, né en 1921. Agrégé d’arabe et docteur ès lettres, il est l’auteur d’une œuvre abondante et multiforme, dans laquelle domine les recherches sur le monde islamique du Moyen Age. Il est l’un des fondateurs de l’université de Tunis ou il a enseigné pendant plusieurs années.
Il est l’auteur de plusieurs livres dont Plaidoyer pour un islam moderne, penseur libre en islam, Universalité du Coran, Réflexions sur le Coran (avec Maurice Bucaille), Réflexion d’un musulman contemporain … ainsi que de nombreux articles qu’il publie soit dans des ouvrages collectifs ou bien dans certains journaux et magazines (dont l’hebdomadaire Jeune Afrique avec lequel il contribue depuis plusieurs années).
J’ai déjà évoqué la pensée de Talbi lorsque j’ai reproduit une partie d’une grande interview qu’il avait accordée à Jeune Afrique.
Il s’agit de « L’une des plus profondes (pensée) et qui sera certainement des plus fécondes pour les musulmans du vingt et unième siècle » comme l’écrit Abdou Filali-Ansary dans sa préface du livre Réflexion d’un musulman contemporain (éd Fennec, Casablanca, 2005). Et ce parce que l’homme est un « savant, non pas à la manière des clercs conservateurs, à la science obsolète, qui en sont encore à ressasser les avis et commentaires de leurs ancêtres, mais à la manière des modernes, qui ont assimilé leur culture et celles des autres, et qui adoptent les outils de l’enquête rationnelle rigoureuse. Croyant, non pas à la manière de ceux qui confondent foi et superstition, qui sont croyant parce que superstitieux, mais comme ceux qui sont saisis d’une conscience aiguë du sens cosmique de l’existence et des devoirs moraux des hommes. Cet homme, Mohamed Talbi n’est ni le réformateur centenaire, le héros auquel la tradition a assigné la mission de renouveler la foi des multitudes, ni l’universitaire qui prétend capturer la vérité dans un jargon inaccessible. Il faut l’entendre ou plutôt le litre, pour saisir la profondeur de son approche, et la modernité de son regard. »
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Florence Beaugé, journaliste au Monde vient de rencontrer Talbi à Tunis, dans le portrait qu’elle lui a réservé, elle nous résume le mode de vie et la pensée de l’homme :
« Mohamed Talbi est aujourd'hui ignoré du grand public, en France comme en Tunisie. Seul ou presque, l'hebdomadaire Jeune Afrique n'a de cesse de faire connaître ses idées. Lui finit en ce moment même de rédiger ce qui sera un peu son testament spirituel. Dans cet ouvrage de 400 pages, il clame une fois encore que "l'islam est liberté" et qu'il est "tout à fait compatible" avec la démocratie et la modernité. La charia (loi islamique) est une "production humaine" qui n'a "rien à voir" avec l'islam, martèle-t-il. Les musulmans doivent "se délivrer" de ces textes juridiques apparus deux siècles après le Prophète et qui donnent de leur religion une image d'épouvante. Jamais le Livre saint n'a recommandé de couper la main des voleurs ou de lapider les femmes adultères ! "Seul, le Coran oblige", répète-t-il inlassablement.
Si l'islamologue tunisien s'oppose avec force à toutes les interprétations passéistes de l'islam - le salafisme, le wahhabisme, en particulier -, il combat avec autant d'énergie la désacralisation du Coran. Rénover la pensée musulmane, ce n'est pas prôner "un islam laïque, un islam sans Dieu", insiste-t-il. Mohamed Talbi n'est pas tendre envers ces "désislamisés" qui prônent "un islam commode", purement identitaire. "La religion n'est ni une identité, ni une culture, ni une nation. C'est une relation personnelle à Dieu, une voie vers lui. On peut être musulman et de culture hollandaise, française ou chinoise", explique-t-il avec force.
A ses côtés, une femme longue et blonde, aux yeux bleus, l'écoute avec attention. C'est Irmgard, sa femme, d'origine allemande, rencontrée à Paris il y a tout juste cinquante ans. Irmgard ne s'est convertie à l'islam qu'en 1996, au terme d'un long cheminement. Ils ont deux fils et deux petits-enfants. Ceux-ci suivent-ils le chemin de leur père et grand-père ? M. Talbi sourit. "Je ne sais pas. Je ne leur pose pas la question et je ne leur offre même pas mes livres. Si je le faisais, cela reviendrait à dire : "Lisez-moi". Je m'y refuse."
C'est dans le même esprit que Mohamed Talbi reconnaît aux caricaturistes le droit de brocarder le prophète Mahomet et à Michel Houellebecq - "un garçon sympathique" - le droit de dire et d'écrire que l'islam est la religion "la plus con du monde". La religion, quelle qu'elle soit, ne doit pas être une contrainte. "Je veux décrisper les gens, et je veux le faire au nom du Coran. La foi est un choix, souffle-t-il de sa voix à la fois fluette et ferme. Je ne cesserai jamais de dire que l'islam nous donne la liberté, y compris celle d'insulter Dieu..." »