Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Islamiqua | L'islam et son image
Islamiqua | L'islam et son image
Archives
3 février 2007

Orient – Occident (2)

Orient_Occident_2

« What went wrong ? » ou « que s’est-il donc passé ? » est le titre d’un des livres de Bernard Lewis, dans lequel l’auteur nous propose une nouvelle approche de ce qui serait à l’origine de la situation ‘‘décadente’’ des musulmans et qui nous est exposé par Gabriel Martinez-Gros dans le 62ème numéro de Qantara.

Selon une idée admise aujourd’hui aussi bien en Occident qu’en Orient : « A l’origine, autrefois, l’islam dominait. Il avait les armées les plus puissantes, les meilleurs savants, les gouvernements les plus sages. Et brusquement tout s’est renversé, et des usurpateurs, les nés de rein –les Occidentaux- ont arrachés au monde musulman sa lumineuse hégémonie. »

Posée comme un postulat, cette ‘‘vérité’’ ne sera plus contestée et les auteurs ne se préoccuperont plus de l’affirmer ou de l’infirmer mais sauteront directement à l’étape suivante à savoir : à partir de quel moment, ou de quel événement historique, la civilisation musulmane a commencée à perdre du terrain face à celle occidentale ?

Il y aura ceux qui placeront cet événement historique avec les invasions mongoles et la chute d’al-Andalus en 1492, d’autres avec la renaissance et les Grandes Découvertes, d’autres encore avec la défaite ottomane devant Vienne en 1683 et jusqu’à ceux qui le placent au moment des colonisations du XIXe siècle…

Mais on pourrait légitimement se demander l’intérêt que pourrait avoir la détermination de ce moment : pourquoi on se donne tant de mal à essayer de trouver la date exacte du déclanchement du processus de décadence ?

Et là, la réponse donnée est la suivante : d’abord nous devons, disent les spécialistes, comprendre les causes de ce ‘‘mystère’’ : comment une civilisation aussi développée que la civilisation musulmane a connue une telle décadence ? Et ensuite, disent les plus optimistes, en localisant le mal, il serait plus facile de lui trouver un remède et par conséquence de relancer le processus de développement propre aux sociétés musulmanes…

Donc la question n’a pas seulement un intérêt théorique mais surtout un intérêt pratique.

Une fois l’intérêt de la question démontré, voyant maintenant la réponse la plus répondue parmi les milieux scientifiques.

Gabriel Martinez Gros nous rappel que l’hypothèse la plus populaire est celle défendue par l’Occident :

« L’histoire universelle que construit l’Occident au XIXe siècle, mais dont les thèmes sont largement diffusés dans le monde arabe, place la catastrophe, et le déclin, au XIIIe siècle, avec la prise de Bagdad par les Mongols (1258) et celle de Cordoue par les Castillans (1236).

L’hypothèse satisfait l’Occident : l’histoire de l’Europe n’a besoin de l’Islam que pour faire jonction avec l’héritage grec, que l’Islam aurait porté, pendant les siècles obscurs du Haut Moyen Age, et qu’il aurait rendu à l’Occident aux XIIe-XIIIe siècles par le biais des traductions philosophiques et scientifique menées à bien en Sicile et en Espagne. Après cette reconquête intellectuelle, liée à la reconquête maritime de la Méditerranée par les flottes italiennes, l’histoire de l’occident s’explique sans qu’il soit nécessaire de faire appel à l’Islam, qui disparaît donc de nos manuels scolaires au-delà du XIIIe siècle. »

Voila donc, toute une partie -extrêmement importante- de l'histoire des  musulmans et qui s’étend sur plusieurs siècle qui est construite sur la base d’une supposition, d’un postulat : celui de la décadence de la civilisation islamique.

Certes, les historiens ne se contentent pas d’avancer cette hypothèse mais ils vont la corroborer par un certains nombre d’éléments historique et d’événements qui prouveraient que le déclin de la civilisation musulmane n’est point une fiction mais une Vérité.

C’est à ce stade là qu’interviendra Bernard Lewis avec sa nouvelle –mais contestée- théorie : La civilisation musulmane n’aurait jamais connue la décadence (!)

Ne soyez pas surpris, vous voici les arguments de l’auteur :

« Entre les XIe et XIIIe siècle, l’Islam recule en Méditerranée occidentale (Espagne et Sicile), mais il repousse les croisades, et s’engage sur trois nouveaux fronts de conquête : l’Afrique noire ; l’Inde ; l’Anatolie et les Balkans. Sa surface (et probablement les populations qu’il contrôle) double entre 1100 et 1600. Au XVIe siècle, les Ottomans, les Séfévides d’Iran et les Moghols d’Inde atteignent un apogée aussi remarquable sous beaucoup d’aspects (politique et artistique en particulier) que le califat arabe des IXe – Xe siècles. Il est vrai que ces triomphes sont turcs, iraniens, indiens, et que les Arabes y prennent peu de part. le déclin vient plus tard, nous dit Lewis, avec l’échec ottoman devant Vienne (1683), l’assaut russe, la colonisation anglaise de l’Inde, ou l’expédition d’Egypte de Bonaparte à la fin du XVIIIe siècle. »

Mais ce déclin, nous dira l’auteur ne provient pas de la décadence de la civilisation musulmane mais du triomphe de l’Europe. Et les deux hypothèses ne sont pas du tout la meme chose.

« Le problème ne résidait pas, comme certains l’ont prétendu, dans le déclin du monde musulman. L’Empire Ottoman et ses forces armées étaient toujours aussi efficaces qu’ils l’avaient toujours été, en termes traditionnels. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, c’était le dynamisme et l’inventivité déployés par l’Europe qui creusaient l’écart entre les deux camps. »

Autrement dit, « L’Islam n’a commis aucune faute, ni subi aucun accident particulier qui explique qu’il ait perdu la bataille de l’invention de la modernité. Car il n’y avait ni bataille clairement engagée, ni but identifié, ni par conséquence moyens d’y parvenir. »

Mais, comme se demande Gabriel Martinez Gros, une fois cette modernité acquise par l’Occident et une fois donc que la voie a été ouverte par l’adversaire, pourquoi -par la technique de l’imitation- la civilisation musulmane n’a pas réussit à acquérir les bases de cette modernité et même à dépasser la civilisation Occidentale comme l’a fait par exemple le Japon au XIXe siècle ?

« C’est ici que la livre de Bernard Lewis est particulièrement impressionnant. Car contrairement à une opinion reçue en Occident, l’Islam –ou du moins les Etats islamiques, et d’abord l’Empire Ottoman- ont tenté désespérément depuis deux ou trois siècles d’identifier les clefs, ou les raisons du succès de l’Occident et de les transporter à leur profit : l’imprimerie, les mathématiques, la médecine, les sciences au XVIIIe siècle ; les langues occidentales, l’industrie, les fabriques, le gouvernement représentatif au XIXe siècle ; le nationalisme, les luttes de libération, parfois même une forme de laïcité ou un timide féminisme au XXe siècle. Au total, la conclusion de Bernard Lewis, qui justifie le titre de son livre et le désarroi qu’il révèle, c’est que les secrets de l’imitation n’ont pas encore été percés à jour. Leçon d’humilité aussi pour l’historien : l’échec relatif de l’Islam est aussi le sien. Pour l’heure, les ressorts de la modernité ne sont pas identifiés, isolés (au sens ou on isole un gène, ou un phénomène physique en laboratoire) puisqu’on est incapable de les reproduire. Plus étrange encore, après le Japon, la Chine et l’Inde semblent montrer plus de dispositions à entrer dans les voies du développement que l’Islam –alors même que la Chine, comme le Japon, pratique bien moins les langages occidentaux que l’Islam ; alors même que l’Inde fut une province islamique pendant les cinq ou les six siècles qui précédèrent la colonisation britannique. »

***

A titre de conclusion, nous pouvons dire que pour Bernard Lewis, l’Islam n’a pas connu de déclin et que tout son malheur résidait (et réside toujours) dans le fait qu’il a été dépassé par la civilisation occidentale. Mais depuis, il n’a cessé d’essayer de l’imiter afin d’acquérir, dans une première étape, les armes du développement avant de la dépasser, dans une deuxième étape.

Le problème est que les musulmans ne sont pas arrivés jusqu’à aujourd’hui à identifier et à isoler « les ressorts de la modernité » occidentale.

Mais, pourquoi avons-nous échoués dans cette identification depuis des siècles ?

C’est la question…

     

Publicité
Commentaires
A
Bernard Lewis est un personnage controversé, pour ses idées et ses relations.<br /> <br /> http://www.monde-diplomatique.fr/2005/08/GRESH/12402<br /> <br /> http://www.monde-diplomatique.fr/2004/09/GRESH/11390
Islamiqua | L'islam et son image
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Publicité