Le voile et la Turquie
C’est désormais officiel, dans quelques jours, date de la promulgation par le Président de la République turque du nouvel amendement constitutionnel, toutes les femmes qui souhaitent porter le hijab à l’intérieur des facultés turques peuvent le faire sans aucun problème.
Cela s’inscrit dans l’ordre normal des choses étant donnée que la Turquie est gouvernée aujourd’hui par un Parlement majoritairement islamiste, un gouvernement entièrement islamiste et un président parfaitement islamiste.
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Les avis sur ce sujet divergent, il y a ceux qui considèrent qu’il ne s’agit là que d’un simple retour à la normale ; le port ou non du voile est l’une des « libertés individuelles » et méconnaître ce droit reviendrait à transgresser les droits de l’homme. Pour d’autre, cela n’est que la confirmation du triomphe de l’islamisme dans le monde musulman en général et en Turquie en particulier.
Pour ma part, je considère, quelque soit le camp qu’on soutient dans cette guerre entre laïque et religieux, qu’on ne peut contester le fait qu’il s’agit là d’une régression dans la situation de la femme en Turquie et ailleurs.
La raison qui me pousse à dire cela est simple : si l’on considère que le port du voile est une obligation religieuse que les musulmanes sont tenus de respecter, nous seront dans l’obligation de dire que la Charia est obligatoire est que nous sommes tous tenus de respecter et d’appliquer ce qu’elle prévoit. On aura ainsi élevé le travail d’un certain nombre de religieux musulmans du rang de l’humain et du discutable au rang du sacré et de l’indiscutable.
Car nous l’avons dit et redit plusieurs fois : ce n’est pas la Coran qui impose le port du hijab mais c’est la Charia. Or la Charia est constituée d’un ensemble d’obligations dites religieuses que les Oulémas musulmans ont inventés en se basant sur leur interprétation personnelle du Coran et de la Sunna du Prophète : c’est dire le caractère subjectif d’un tel texte.
Et le danger de ce corpus de règles découle du fait qu’il est caractérisé par l’existence en son sein d’un très grand nombre de règles inhumaines qu’une certaine interprétation de l’islam dans une certaine période a permis aux religieux d’imaginer.
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La situation est donc la suivante : ce n’est pas le voile qui pose problème en soi mais c’est la légalisation du port du voile et sa reconnaissance comme étant une obligation religieuse qui poserait problème parce qu’une telle reconnaissance reviendrait à reconnaître la force obligatoire de la Charia et par conséquent à intégrer les règles qu’elle contient dans les législations des pays musulmans.
Car c’est là la prochaine étape de ce processus : aujourd’hui, on vous dit que le respect de la liberté personnelle vous oblige à respecter le droit des femmes à porter ou non le voile. Mais demain, on vous dira que le respect de la liberté du culte vous oblige à respecter (si non à appliquer) les règles prévus par la Charia.
Ainsi la boucle sera bouclée ; de la liberté de porter ou non le voile nous passerons à l’obligation du port du voile pour toutes les musulmanes, à une séparation stricte dans l’école, dans les supermarchés, dans les bus, et pourquoi pas dans les rues entre hommes et femmes, à l’application des peines corporelles inhumaines prévus dans la Charia, à l’abandon du processus démocratique qui serait en contradiction avec les textes de la Charia…
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Voila pourquoi nous considérons que le retour du voile est dangereux. Mais le paradoxe vient du fait que celles qui seront les premières victimes de ce retour triomphale du voile sont celles même qui défendent aujourd’hui le port du foulard islamiste. Le voile n’est que le premier pas dans la privation de la femme de ses droits et libertés. C’est une privation consentie qui donnera aux religieux le droit d’appliquer à ces dernières l’ensemble de la littérature islamiste sur l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, les devoirs qu’incombent à ces dernières et la manière d’être des femmes idéales. A savoir « ne jamais quitter le domicile de son père que pour celui de son mari et ne jamais quitter le domicile de son mari que pour sa tombe ». Bel programme en perspective !