La Tunisie s’attaque à l’ ‘‘habit sectaire’’ (2) : Le voile est-il obligatoire en islam ?
Au delà de la polémique qui a été soulevée en Tunisie autour du caractère ‘‘sectaire’’ du voile islamique, je pense que le débat ne se situe pas à ce niveau et que le point fondamental de notre départ doit être le suivant : le hijab est-il obligatoire en islam ? La musulmane est-elle dans l’obligation de porter un voile pour respecter les préceptes de sa religion ?
J’exclu dés maintenant la question relative au droit de la musulmane à porter le hijab. En effet, quelques soient nos convictions et nos valeurs, on doit avoir la liberté de porter ce qu’on veut, car si j’accorde à Michel Houellebecq le droit de dire que « l’islam est la religion la plus con au monde » ou au pape le droit de s’exprimer librement sur l’islam ou encore à Robert Redeker le droit d’insulter le Prophète de l’islam, je ne peut me permettre de nier le droit d’une musulmane à porter le voile ou à ne pas le porter et ce abstraction faite du caractère obligatoire ou non de l’institution.
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Cela dit, il nous faut signaler que l’augmentation du nombre des voilées en Tunisie est certes un signe d’un regain d’intérêt pour l’islamisme ente les jeunes tunisiennes mais, comme l’écrit Fawzia Zouari dans Jeune Afrique (n° 2388) et malgré qu’il « est indiscutable que quelques croyantes suivent les consignes d’islamistes purs et durs, il serait erroné de croire que le port du voile est, au moins en Tunisie, un geste de part en part politique, ou politico-religieux. »
Que signifie alors le port du voile ?
La réponse à cette question est très complexe car aujourd’hui on ne se voile plus parce qu’on croit dans l’obligation du port du hijab seulement, mais pour bien d’autres raisons qu’on n’arrive plus à compter : « Il y a celles qui adoptent cette tenue par pur mimétisme, il y a celles qui s’y réfugient par repentance, celles qui s’en drapent comme de vertu en quête d’un parti avantageux. Il y a enfin celles qui y ménagent des effets de séduction. Par pure coquetterie, pour ne pas dire coquinerie » comme l’écrit Emna ATALLAH SOULA dans les colonnes du journal tunisien La Presse.
Il est très rare, pour ne pas dire invraisemblable, de rencontrer une musulmane qui s’est voilée suite à un processus d’études et de recherches qu’elle a fait à propos du voile et qui l’a conduit à une conviction suivant laquelle, le voile serait obligatoire pour toute musulmane.
Et même si quelques-unes se donnent la peine de lire quelque chose à propos du voile, ça ne sera certainement pas les écrits de ceux qui le critique, qui le désacralise mais plutôt ceux des Oulémas et fouquahas qui avaient décrétés depuis des siècles que le port du voile est obligatoire pour toute musulmane.
C’est ainsi qu’au cours des débats que j’ai eu avec certaines femmes voilées et certains hommes qui étaient pour le port du voile, il y avait une quasi-ignorance des idées de certains réformistes arabes qui ont déconstruits les fondements de l’obligation du port du voile.
Or, pour pouvoir avoir une réponse, la plus claire possible et celle qui exprime le mieux la volonté divine, nous devons avoir non seulement une idées sur les fondements de l’obligation du port du voile, mais aussi et surtout les idées et les positions de ceux qui ont critiqués la sacralisation du hijab. Et ce n’est que de la synthèse de ces deux éléments qu’on pourra choisir le point de vue le plus fondé.
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Essayant donc de rappeler la position des Oulémas sur le sujet avant d’aborder le point de vue des réformistes.
La position des Oulémas :
Pour les Oulémas, la Sunna du Prophète ainsi que le texte coranique sont clairs sur la question : Les sourates al-Nour et al-Ahzeb ordonnent à toute musulmane de porter le hijab et le Prophète avait même indiqué à sa fille les endroits de son corps qui ne doivent être visible à aucun étranger de sexe masculin.
Seulement, ces deux arguments seront refusés par les intellectuels réformistes.
La position des réformistes :
Au sein de ce qu’on pourrait appeler ‘‘l’école de pensée islamique moderne’’ qui existe en Tunisie ou encore ‘‘la conception tunisienne de l’islam’’, la position est totalement contraire à celle des Oulémas.
En effet, la question du voile sera abordée par un grand nombre d’intellectuels : Mohamed Talbi, Abdelmajid Charfi, Yadh Ben Achour, Sadek Belaid, Youssef Seddik, Mohamed Charfi et aussi Iqbal Gharbi, Mongia Souayhi, Amel Grami, etc.
Pour l’ensemble de ces auteurs, le hijab n’a jamais constitué une obligation religieuse : d’abord, certains remarquent que le Prophète n’a jamais exigé des femmes - qui venaient lui rendre visite - de se voiler. Ensuite, ces chercheurs donnent une autre interprétation des sourates relatives au port du voile :
Pour eux, dans les sourates al-Nour et al-Ahzab, le hijab est conseillé seulement aux femmes libres, afin qu’on puisse les distinguer des esclaves dans les rues. Le calife Omar al-Khattab va même interdire de manière formelle le port du voile à toutes les esclaves.
Or si le port du hijab était obligatoire, le calife ne l’aurait jamais interdit à certaines et autorisé à d’autres.
Ces auteurs croient même que ce n’est que longtemps après la mort du Prophète que les fouquahas feront du port du voile une obligation islamique pour toutes les musulmanes.
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L’ensemble des arguments des réformistes a été rappelé par l’universitaire Olfa YOUSSEF dans une tribune publiée dans La Presse du 14 octobre 2006.
Sous le titre « Pour l’Islam la piété (attaqwa) est le meilleur habit … le reste n’est que convention sociale variable selon les contextes » l’universitaire a déconstruit, encore une fois l’ensemble des arguments des fouquahas.
En raison de l’importance de ce qu’elle écrit je vous propose la version intégrale de l’article :
« Rares sont les thèmes coraniques qui ont fait couler plus d’encre ou soulevé plus de polémiques que la question du voile.
Sans doute est-ce dû à sa portée sémiotique évidente, au fait qu’il exprime l’appartenance à un groupe idéologique ou social déterminé, ou encore à ce qu’il dit de la femme et de son émancipation, enjeu intellectuel ou politique chez bon nombre de penseurs autant musulmans que non musulmans.
Le voile est, entre musulmans, le sujet controversé par excellence. Pourtant, il est loin d’être un souci central dans le Coran, puisque seuls trois versets l’évoquent.
- L’un d’eux ne concerne que les épouses du Prophète : «… Si vous avez quelque demande à faire à ses femmes, faites-la derrière un voile…» (sourate 33-verset 53)
- Le second s’adresse aux épouses du Prophète et élargit l’ordre pour y intégrer les croyantes : «Ô Prophète, prescris à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles leur jilbab (tunique), c’est pour elles le meilleur moyen de se faire reconnaître et de ne pas être offensées…» (sourate 33, verset 59), cependant ce verset ne prescrit pas une manière précise de se vêtir, et s’il ordonne de se couvrir de leur jilbab, c’est pour se prémunir des agressions courantes, de la part des mécréants à l’égard des femmes qui sortaient — seules, semble-t-il — le soir. C’est en tout cas à la suite d’un tel incident que, selon Tabari, ce verset fut révélé. D’autres exégètes précisent que ce verset ne s’adresse qu’aux femmes de condition libre afin qu’elles se distinguent par leurs vêtements des femmes esclaves. Les historiens rapportent que Umar Ibn Alkhattab ordonnait de fouetter toute esclave qui osait porter le jilbab exclusivement réservé aux femmes de condition libre. Un autre khabar attribué à Abu Hurayra dit que le Prophète Mohamed a résidé entre Khaybar et Médine trois jours afin de fêter et consommer son mariage avec Saffiyya Bin Yuyay. Abu Hurayra aurait invité les musulmans pour assister à la fête. Ces derniers s’étaient demandés s’il fallait considérer Saffiyya comme une épouse du Prophète et donc l’une des mères des croyants ou si elle était juste une esclave parmi les captives de guerre (milk yamin), certains ont répondu : si elle porte un hijab, elle est mère des croyants et si elle n’en porte pas, elle n’est que milk yamin. Selon tous ces akhbars, se couvrir d’un jilbab aurait une fonction sémiotique distinctive. Et Zamakhchari d’expliciter que cette situation était due au fait que les hommes harcelaient les femmes esclaves qui sortaient la nuit. Ce harcèlement apparemment admis par la société ne devait par contre pas toucher les femmes libres; ainsi pour éviter toute confusion et éviter le harcèlement par mégarde des femmes libres en les prenant pour des esclaves, le Coran aurait ordonné aux musulmanes de condition libre de se vêtir autrement que les esclaves. Dès lors, le port du voile est étroitement dépendant des conditions historiques et sociales, si l’on se base sur ce seul verset. C’est pourquoi on considère que c’est un autre verset qui prescrit effectivement le port du voile pour toute musulmane.
- «Commande aux femmes qui croient de baisser leurs yeux et d’être chastes, de ne découvrir de leurs ornements que ce qui est en évidence, de couvrir leurs seins de voile, de ne faire voir leurs ornements qu’à leurs maris…» (sourate 24, verset 31). Les nombreux vocables de sens indéterminé que contient ce verset ouvrent à de multiples interprétations. Dans notre verset, deux termes sont concernés par le flou sémantique : «ornements» (zina) et «en évidence» (ma dhahara). Certains exégètes limitent l’ornement aux accessoires que la femme utilise pour mettre sa beauté en valeur, tels que les bijoux, le maquillage ou les vêtements ; d’autres exégètes par contre élargissent le sens de l’ornement pour qu’il inclue les attributs physiques de la femme — on pourrait alors traduire zina par «atours». Même cette définition ne précise pas clairement ce qui est ou n’est pas zina, et s’il est permis ou non de laisser «en évidence» pieds, mains, cheveux, yeux… Suivant les lieux et les époques, ce qu’il convient à une femme de cacher varie considérablement : que l’on songe qu’il y a à peine un siècle une femme qui laissait entrevoir une cheville était considérée comme particulièrement entreprenante. Cette ambiguïté qui ressort du caractère subjectif et normatif des termes employés est encore plus vraie pour ce qui est de l’expression «en évidence» : puisque le verset prescrit de couvrir certains «ornements» et d’en laisser d’autres découverts, ceux qui justement sont «en évidence», cela signifie que «en évidence» n’est pas synonyme, comme on aurait pu le penser, de «visible»: sinon le verset prescrirait de couvrir ce qui est à couvrir et de laisser découvert ce qui est à laisser visible, et ne nous apprendrait rien du tout. Déjà Tabari, au deuxième siècle de l’hégire, insistait sur cette pluralité de références dans notre verset. On comprend alors aisément que les interprétations des ornements évidents et donc des ornements à découvrir aient été si différentes selon les exégètes et selon les époques. Le visage, les pieds, les mains, les cheveux, les bijoux et autres ont été tour à tour considérés comme ornements découvrables pour certains, et comme ornements nécessairement couverts pour d’autres.
- Quant au hadith supposé prescrire le voile, il est, de l’aveu des juristes musulmans mêmes, un hadith contestable. En sus, loin d’être une prescription linguistique, il ne fait que rapporter une mimique dont les référents sont invérifiables.
Autant le Coran que le Hadith ont choisi d’adopter l’équivoque concernant l’habit de la femme. Pour l’Islam, la piété (attaqwa) est le meilleur habit, le reste n’est que convention sociale variable selon les contextes. Ce n’est que des siècles plus tard qu’est apparue la tenue prétendue «islamique», symbole d’une appartenance idéologique qui cache ses desseins politiques en violant la parole de Dieu, en s’opposant à la volonté divine et en s’arrogeant le droit de détenir le sens vrai du texte coranique, alors que ce même Coran dit : «… Dieu seul en connaît l’interprétation et les hommes enracinés dans la science diront : Nous croyons au Livre, tout ce qu’il renferme vient de notre Seigneur. Les hommes sensés réfléchissent » (verset 7, sourate 3). »