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Islamiqua | L'islam et son image
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30 décembre 2009

Le cheikh Al-Fadhil Ben Achour: Le mudarres, historien du droit musulman

 

Centenaire_F

A l’occasion de la célébration du centenaire du Cheikh Al-Fadhel Ben Achour, les professeurs Sana et Rafaa Ben Achour -deux des enfants du Cheikh- reviennent sur le rôle de leur père émérite dans l’enseignement du droit en général et du droit musulman en particulier.

Un document très instructif publié par le site leaders.com.tn et que nous reprenons sur deux livraisons…

 

F_Ben_Achour_Historien

Introduction
Nous entreprenons cette recherche à cette cérémonie du centenaire avec sans doute le sentiment de rendre hommage à un père vite, trop vite disparu un 20 avril 1970. Nous l’entreprenons avec le souci d’apporter sur une question d’actualité l’éclairage d’un homme qui, pétri dans la tradition juridique maghrébine de sa famille zeitounienne, n’en fut pas moins un grand rénovateur et agitateur d’idées. Ses « leçons d’histoire du droit musulman » en témoignent.        

Le corpus, dont nous livrons aujourd’hui la teneur, est établi sur la base des notes de ses disciples. L’ensemble fait 28 leçons transcrites sur 133 pages. D’après le manuscrit, il s’agit d’un enseignement dispensé aux étudiants de la troisième année de droit tunisien durant l’année universitaire 1955-1956. Année charnière, elle annonce le grand tournant que la Tunisie nouvellement indépendante (20 mars 1956) devait prendre sous la conduite du Néo Destour et la place prépondérante tenu au sein de celui-ci par un homme d’Etat, Habib Bourguiba. C’est cette évolution et ses enjeux que nous tenterons de suivre à travers l’histoire des filières d’enseignement du droit. Elle nous permettra de situer la trajectoire de l’homme avant d’aborder son œuvre d’historien.

1) Aperçu historique sur les filières d’enseignement du droit

Le cours d’histoire du droit musulman est assuré par le cheikh al Fadhil au démarrage de l’année universitaire 1954-1955. Ces leçons inaugurent le diplôme de droit tunisien (shahadat al-huquq al tunissiya), diplôme d’Etat nouvellement instauré en 1953  après quarante six ans de « Cours de législation et de droit privé tunisiens », formation “ bricolée ”au début du siècle  (en 1907)  par les Services Judiciaires de la Âdlya à destination des candidats zaytouniens aux emplois de magistrat (hàkim) et de mandataire (wakil) auprès de la justice séculière. En 1922, ces cours de droit tunisien, prennent un tour officiel.  Ils ont la forme d’un enseignement annuel et semestriels hébergé à l’Ecole Supérieure de Langue et Littérature Arabes. L’objectif est d’offrir une meilleure connaissance du droit tunisien issu des codifications du droit musulman et de la jurisprudence tunisienne . Ainsi, au nouvel ordre juridique séculier, nouveau langage et nouvelles méthodes d’inculcation. Accessibles aux étudiants zaytouniens, ces cours représentent des décennies durant, la voie d’accès aux nouveaux emplois judiciaires ainsi que le lieu de fixation de la nouvelle culture juridique. « Hukam » et « wukala » des tribunaux tunisiens y puisent les éléments du nationalisme juridique naissant. 

Mais les cours de la Âdlya ne résistent pas à la critique et ne tiennent pas la comparaison face aux autres filières d’enseignement, en l’occurrence, face au Centre d’Etudes Juridiques de Rectenwald, sorte d’annexe privée de la faculté de droit d’Alger (1920), ainsi qu’à la Section Juridique de l’Institut des Hautes Etudes de Tunis ( IHET), premier jalon d’une université française en Tunisie (1945) . Reprochant à l’enseignement supérieur tunisien son caractère restreint à simples objectifs pratiques et à l’I.H.E.T. son caractère français, un mouvement pour une “Université tunisienne populaire, arabe et moderne” se dessine et prend corps à la khaduniyya que dirige alors le cheikh al-Fadhil ben Achour (nous y reviendrons au point 2 de l’introduction). C’est donc dans un contexte de remise en cause du système colonial d’enseignement qu’a lieu, en 1953, la réforme des cours de droit tunisiens et leur transformation en diplôme d’Etat. Enseignement supérieur d’une durée de trois ans, il est destiné aux étudiants zaytouniens dont on voulait faire les nouveaux professionnels de l’ordre judiciaire tunisien mais aussi les vecteurs de la nouvelle culture juridique reçue. Discipline, examens et concours en assurent la nouvelle rationalité moderne. Ils finissent par induire le nouveau profil de « l’homme de loi » mais par marquer le clivage entre les élites tunisiennes, entre  les bilingues et les bi-culturées formées dans les universités de  la métropole ou leurs annexes tunisiennes et algériennes et celles arabisantes sorties des rangs zaytouniens et titulaires du diplôme de droit tunisien. 
L’histoire de ce diplôme dans l’enseignement supérieur de la Tunisie indépendante est emblématique de la raison « destourienne » du nouvel Etat. La filière est progressivement disqualifiée puis abolie en 1973. Avec l’indépendance, l’enseignement traditionnel zaytounien est liquidé  (1958) et remplacé par un enseignement de type moderne dont la jeune Université publique avec sa faculté de droit est le fleuron (1960) . Celle-ci, en héritant en 1960 de la Section Juridique de l’Institut des Hautes Etudes de Tunis, hérite aussi des cours de droit tunisien, placés en 1953 en son sein. La filière se maintient en l’état  jusqu’en 1966, date de son absorption par l’Ecole Supérieure de droit (al madrassa al ôlya lil huquq) et la transformation du diplôme (shahada) en « licence» (Ijaza) sanctionnant les quatre années d’étude nouvellement exigées. L’enseignement y est donné en arabe aux derniers diplômés zayouniens. L’histoire du droit musulman figure au nombre des matières nouvelles de la première année. Le programme officiel semble calqué sur le plan du cours du cheikh dont on s’est contenté de reproduire les têtes de chapitres.      

Devenue en quelques années l’exutoire d’une jeunesse arabisante et unilingue (les diplômés d’al âlimiya et du tahcil admis à y entrer sur examen), l’Ecole supérieure de droit ne résiste pas à la vague « sécularisante » et occidentalisante des années 60. L’expérience prend fin en 1973.   

2) Le cheikh à la croisée des chemins  
 
En cette rentrée de l’année universitaire 1955-1956, le cheikh avait 46 ans et déjà, derrière lui, une longue carrière d’enseignement et de magistrature charaïque ainsi qu’un long parcours militant contre l’occupant et pour le  relèvement politique et culturel » de la nation.  Mudarres à 23 ans (1932), il se fait remarquer par ses prises de position nationalistes et la force de ses engagements pour l’arabité et l’Islam. Homme d’action et de réflexion, il  remplit dans les années quarante la scène publique Tunisienne et anime ses principaux foyers intellectuels et culturels : la Grande Mosquée, le collège Sadiki , la khalduniyya dont il est en 1945 le président. C’est sous son action qu’elle se dote de trois Instituts- l’Institut d’Etudes Islamiques, l’Institut Arabe de Droit, l’Institut de philosophie - unités d’enseignement libre participant de « l’université populaire arabe et moderne » qu’il appela de ses vœux et à laquelle il consacra ses efforts. A l’inauguration, le cheikh al Fadhil, en précise l’esprit et en définit la mission:         
Cette institution devra être un organisme complémentaire d’enseignement qui aura pour tâche d’adapter dans le mesure du possible l’enseignement zeitounien aux exigences de la culture moderne ”.      

C’est cet esprit que poursuit l’Institut Arabe de Droit ( al maâhad al ârabi lil huquq),  placé à sa naissance sous le signe  “pour le droit et l’arabisme” ( lil haqqui wal ûruba). Dans un article intitulé “Pourquoi avons-nous fondé l’Institut Arabe de Droit ?”, Taieb al Annabi, le Secrétaire Général de l’association, insiste sur la nécessité d’offrir aux Tunisiens dans leur langue “naturelle”, une solide formation en droit qui soit en harmonie avec leur culture arabo-musulmane, mais aussi qui soit  adaptée aux exigences de la vie moderne ( mutatalibat al âsr). Les cours de la moribonde  Adliya, suscitent ses réserves. “Licence tronquée”, “squelettique” écrit-il, “elle ne comprend pas l’étude des disciplines aujourd’hui indispensables à la formation du juriste telles, l’économie politique, le droit constitutionnel, l’histoire du droit, la législation financière, le droit international public”. C’est justement ces sciences juridiques modernes que l’Institut inscrit à son programme d’enseignement : l’histoire du droit musulman, l’histoire de la justice tunisienne, le droit constitutionnel, l’économie politique, le droit international public, le droit romain, l’introduction générale au droit. L’administration coloniale ne manquera pas de voir dans cette orientation d’inspiration nationaliste en faveur de la langue arabe, une “attaque” contre l’Institut des Hautes Etudes de Tunis. En réalité, pour reprendre ici Jacques Berque cette posture marque le moment à partir duquel le Maghreb, “ dispute au regard de l’étranger non pas un quant-à-soi blotti dans ses refuges et tenté par l’irrationnel, mais une interprétation historisante de lui-même ”.

Et en effet, la nation vient de recouvrer son autonomie interne (1954) et de mettre fin au régime du protectorat (20 mars 1955). Un grand chantier s’ouvre à elle dont le sens s’enracine dans la promulgation d’un code moderne du statut personnel (13 Août 1956). En rupture avec les règles de la famille musulmane traditionnelle, il interdit la polygamie, instaure l’égal accès au divorce judiciaire, fonde le mariage sur le libre et plein consentement des futurs époux.  Il est l’acte fondateur d’un vaste ensemble de réformes de l’Etat, de son droit et de la société, participant de l’étatisme bourguibien et de sa raison moderne. Sa promulgation est antérieure à la constitution politique du pays, dont la difficile gestation s’achève au 1er juin 1959. Dans l’intervalle, c’est sous la conduite du parti et de son chef que tombent une à une toutes les citadelles de la société traditionnelle : liquidation des habous avec transfert des habous publics au domaine privé de l’Etat (2 mars 1956) et suppression des habous privés (18 juillet 1957) ; dissolution des tribunaux religieux charaïques (mai 1956) et rabbiniques (1er octobre 1957), unification de la justice sur le modèle de la justice française (mars 1957) ; abolition de la monarchie beylicale et proclamation de la République (25 juillet 1957) ; démantèlement de la séculaire université Zeytounienne (1958).      

1955-1956, le cheikh est à la croisée des chemins. Il amorce sa nouvelle trajectoire, dans une sorte « d’équilibre transactionnel » entre gallicanisme bourguibien  et réformisme musulman. Auparavant mufti malékite (en 1953)   puis qadi en 1956 au Tribunal Supérieur du Charaâ de Tunis (al majliss al-chariî), il est intégré dans les cadres de la magistrature des juridictions de droit commun au poste, nouvellement créé, de  président de chambre à la cour de cassation. Promu au rang de Premier président, il exerce ses fonctions judiciaires jusqu’en 1962, date de sa nomination au poste inédit et comme crée pour lui de « Mufti de la République » qu’il assumera jusqu’à sa mort en avril 1970. Entre temps, il est nommé en 1961 doyen de la faculté de la charîâ et de théologie (kuliyat al sharîa wa usul al-din) poste qui le confirmera dans sa stature de « bahr ».      

à suivre …

 

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À lire aussi :

- Le dossier Islamiqua sur le centenaire du cheikh Fadhel Ben Achour

 

 

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