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Islamiqua | L'islam et son image
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17 février 2009

Crimes d'honneur, crimes d'amour

ikbel_al_gharbi

Le quotidien el quds el arabi du 28-6-2004 relate l'histoire du 8ème crime  d'honneur  en Jordanie pour l'année (le journal a dénombré 13 cas pour l'année précédente). C'est l'histoire d'une jeune fille de 17 ans qui a fugué avec son fiancé mais qui est retournée au foyer familial et qui s'est repentie. Seulement son jeune frère ne lui a pas pardonnée et lui a tiré deux balles dans la tête.  L'hebdomadaire Tunis Hebdo du 19-7-2004 raconte l'histoire d'une jeune femme  de 26 ans, divorcée depuis peu, poignardée à mort par son frère de 24 ans  qui "doutait de sa conduite". Les chroniques foisonnent, les drames se multiplient mais  les histoires ne  se rassemblent pas. Des dizaines, des centaines de femmes ont été sacrifiée pour laver dans le sang l'honneur communautaire !

Je me rappelle, étant  psychologue stagiaire à l'hôpital Razi dans la banlieue de Tunis, quand mon professeur de psychiatrie m'a demandé de passer des tests dans le cadre d'une  expertise médico-légale à un jeune adolescent qui avait tiré sur sa sœur avec un fusil de chasse parce qu'il l'a aperçue en train de discuter avec un homme ! L'adolescent avait à peine 15 ans,  en pleine crise d'adolescence, chétif, les yeux hagards,  profondément perturbé, il ne regrettait pas son acte et délirait à propos de "l'honneur familial". Au delà de ma bonne volonté je n'arrivais pas à avoir une attitude neutre et bienveillante à son égard, ni à comprendre son attitude.  A cette époque, cette inaptitude à l'empathie et ce manque de professionnalisme m'a  beaucoup culpabilisée.

Toutefois, il demeure difficile de comprendre et de se reconnaître dans une culture qui bafoue le droit à l'amour, à la vie. Qui impose un véritable dressage aux femmes en leur imposant la continence sexuelle, la soumission à l'autorité paternelle et surtout un comportement d'évitement de l'autre sexe, qui les amènent à déployer  des stratégies de défense vis à vis des hommes considérés comme des "prédateurs", afin de préserver ce qu'elles considèrent comme un capital : leur virginité. Toute l'éducation de la fillette renforce  ces stéréotypes  et l'incitent à la réticence. Certaines mères maghrébines punissent les relâchements de leurs fillettes en frottant de piment leurs parties génitales. Un écart pouvant  entraîner un autre, elles insistent pour amener leurs filles à respecter impérativement les règles. Les mères, par cette punition, pratiquent, en fait, une excision symbolique dans une culture ou l'excision n'existe pas. Ce quadrillage systématique des femmes sert à renforcer et à valider socialement la masculinité ou la Rjoulia . Ce concept désigne au Maghreb un mélange d'honneur et de virilité psychologique. Il transforme tout sujet masculin à être avant tout un représentant implicitement et explicitement mandaté par son groupe pour veiller sur "l'honneur" des femmes, c’est à dire sur leurs corps.

Mêmes les petits garçons sont enroulés dans cet ordre contre les femmes. On leur enseigne la délation généralisée contre toute tentative de rébellion contre l'ordre établi.

De temps à autre, les exigences de l'ordre moral prennent des proportions surréalistes.

En  Tunisie, le mois d'avril dernier [2004], une circulaire pour la préservation des bonnes mœurs a fait resurgir les vieux  démons. Certains l'ont altéré afin d'abolir la mixité, traquer des femmes seules attablées dans des cafés,  harceler les couples d'adolescents devant les lycées …La circulaire a été abrogée mais la tentation intégriste rode …

Sous d'autre cieux, le" retour du refoulé" réapparaît d'une manière plus barbare.

Dans son témoignage "pluie de pierres pour les amants", John F. Burns  nous décrit une scène de lapidation en Afghanistan :  « Longtemps avant l'arrivée du couple condamné toutes les places de choix étaient prises …Rapidement les combattants talibans s'avancèrent et lancèrent une pluie de pierres dont chacune emplissait la paume de la main .Toryalay a cessé de vivre au bout de 10 minutes , mais la mort de Nurbibi demanda plus longtemps, jusqu'au moment ou l'un de ses fils, s'avançant pour se rendre compte, se tourna  vers le juge pour lui dire que sa mère vivait encore, alors l'un des combattants taliban ramassa une grosse pierre, s'avança en direction de Nurbibi et l'acheva en la lui laissant tomber sur la tête…Tous,  hommes, jeunes et adultes, tous parlèrent de l'exécution avec enthousiasme …Mohamed Wali 35 ans a déclaré que la lapidation lui a procuré une grande satisfaction. » 

Cette scène terrible exprime l'aversion des militants talibans pour l'amour : énergie explosive qui échappe à toute norme doctrinale, à toute surveillance policière.

Les amoureux ont réussi l'inadmissible: se créer un monde à eux hors du contrôle des talibans, de la police des mœurs, du tristement célèbre comité de la propagation de la vertu et la prohibition du vice. L'amour dans les cultures totalitaires est un acte subversif parce qu'il  est capable de  saper tous les conditionnements.

Au delà de ces cas extrêmes, et malgré l'avancée des femmes arabes dans tous les domaines de la vie sociale, économique et politique les mœurs demeurent figées. La femme est  obligée d'honorer des coutumes rigides qui détruisent son autonomie  et son individualité. Elle est souvent amenée à s'exposer moins, à restreindre ses déplacements et ses activités, à s'imposer des restrictions comportementales et vestimentaires qui limitent son indépendance  et à s'imposer une censure sentimentale qui affecte la qualité de sa vie. En Algérie , les femmes célibataires, 20% à 30% en milieu citadins ,vivent dans l'angoisse journalière d'être agressées au nom des bonnes mœurs, reçoivent des insanités dans leurs boites aux lettes puisque dans l'imaginaire collectif celle qui n'est à personne est tenue pour être à tous .

▪▪▪

Au sein de la culture arabo-musulmane et à  cause de la main mise moralisatrice de la famille, de la société, les rapports sentimentaux sont falsifiés, appauvris et banalisés. Ils ne sont reconnus que dans le cadre du mariage conventionnel. Cette stérilisation des rapports hommes- femmes rend les êtres  interchangeables. On est à la quête d'un mari, tout homme s'avère remplaçable par un autre, sur fond de misère affective.

Le travestissement de l'amour par l'ordre socioreligieux, le rend figé, répétitif et inhibant. Cette  contrainte idéologique qui s'exerce sur l'amour ne lui permet pas d'être une libre activité ludique et épanouissante.

La misère sentimentale, qui en découle, s'exprime dans la détresse quotidienne des femmes.

Le lot quotidien des femmes arabes est souvent, la dépression (selon la dernière enquête psychiatrique, 57 % des femmes  tunisiennes en situation de congé médical longue durée souffrent de  dépression et d'effondrement psychologique causé par des difficultés sentimentales), le renoncement à la vie (en Algérie, selon l'Association des psychiatres privés, le taux de suicide et des tentatives de suicide est en nette augmentation) et la folie. Quant à la multiplication des maladies psychosomatiques, elle exprime l'irruption de l'organique élémentaire dans l'espace social aseptisé.

Tous ces maux se confondent pour exprimer une fuite féminine hors de la communauté aliénante et aliénée, comme un dernier refuge de l'individualité retrouvée.

_______________

* Ikbal al Gharbi est professeur de psychologie et des sciences de l’éducation à L’Institut supérieur des sciences religieuses, ainsi que directrice du Centre de l’innovation pédagogique, à l’université Ezzeytouna en Tunisie. Elle est aussi psychologue, docteur en anthropologie, consultante auprès des Nations Unies et elle s’occupe de la réforme dans le monde arabe.

ahikbal@yahoo.fr

Une critique, une suggestion, un complément d’information ? … merci de poser vos commentaires

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Commentaires
J
Bonjour,<br /> <br /> <br /> Dans mon message à Vissan , je n'avais pas lu votre contribution auparavant.<br /> <br /> Bien entendu , vous mettez en avant , comme les islamistes style Tariq Ramadan , la responsabilité de la "coutume" pour bien exonérer le Coran.<br /> <br /> Si le Coran englobe tous les aspects de la vie humaine depuis 1400 ans comment n'a-t-il pas mis fin à ces coutumes horribles : la surveillance de la fille par sa mère , par ses frères ?<br /> <br /> On ne peut pas l'expliquer , sauf si on répond que cette surveillance , elle découle directement de ce CORAN que vous voulez , on vous comprend ,vous êtes un islamiste , mettre hors de cause ...<br /> <br /> Je suis désolé pour vous mais Sainte Monique ou Saint-Augustin , les compatriotes catholiques du V è siècle [Lisez-le !] de Vissan , ils ne connaissaient pas ce flicage de tous les instants ...<br /> <br /> Ce flicage , c'est l' islam qui l'a apporté en Afrique du Nord ...<br /> <br /> Amitiés.<br /> <br /> "Amabam amare" <br /> <br /> [Saint-Augustin].
J
Bonjour,<br /> <br /> Je compatis grandement à votre souffrance.<br /> <br /> Mais il est trop facile de mettre en cause les parents ou les frères ou la coutume.<br /> <br /> Cela c'est la réponse des islamistes que nous avons en France comme Tariq Ramadan.<br /> <br /> Votre mère , vos frères n'y sont pour rien : ils sont victimes comme vous de l'idéologie totalitaire qu'est l'islam.<br /> <br /> Comme les Russes qui adoptaient des attitudes immorales n'étaient pas coupables , mais victimes d'une idéologie totalitaire.<br /> <br /> <br /> Tant que les personnes courageuses comme vous ne mettront pas en cause la responsabilité de l'islam qui nie l'égalité homme-femme ...<br /> <br /> ... vous ne pourrez pas sortir du cauchemar qui frappe TOUTES les sociétés musulmanes et pas [Curieux hasard :=)] , les sociétés chrétiennes ...<br /> <br /> <br /> J'espère aussi comme vous que cela changera ...<br /> <br /> <br /> Amitiés.
V
je suis une jeune fille mahgribine universitaire qui souffre comme toutes les autres filles de cette situation sociale qui nous empéche de vivre et d'avancer. je pense que la fautes revient premièrement aux parents (aux mères surtout) qui passent leurs temps à encourager leurs garçons à surveiller leurs filles à leurs donner le feu vert de les frapper et de les umilier pour une simple raison. je porte de grandes éspérences à nous et la génération future pour pouvoir enfin metre le point à cette grande souffrance et pouvoir vivre comme toutes les femmes de monde entier. laisser les sals principes de cotés.
B
Je note dans cet article un début d'analyse, qui révèle un point important : le concept de Rjoulia, qui n'est pas exactement celui du Macho européen.. A creuser... Je suis d'ailleurs tombé sur un manuel français d'éducation des jeunes filles des années 60 qui pourraient faire passer les islamistes pour des féministes.<br /> <br /> D'autre part, l'accroissement des suicides ne peut pas être lié à l'oppression coutumière puisque celle-ci se délite. Il faudrait trouver dans l'évolution actuelle de la société : marchandisation, les raisons de ce délitement social.<br /> <br /> Pour finir la falsification des rapports moraux qui est attribué exclusivement à la moralisation familiale est largement fantasmée. En Europe, et en France en particulier, les rapports amoureux, et le mariage se font essentiellement dans la même catégorie sociale, et même ethnique. Le partenaire du couple est largement interchangeable, pour preuve la floraison des agences matrimoniales, des pratiques de rencontres sur critères précis : speed dating, meetic etc.<br /> <br /> La différence majeure, il me semble, c'est que dans le modele de "la famille moralisatrice" les liens et valeurs collectives sont préférées : ville d'Origine, statut social, réputation etc. Alors que l'individu en Europe (la femme mais aussi l'homme mais pas directement la famille) choisira davantage des traits matériels objectifs : salaire, taille de l'appartement, marque des vetements portés qui rendent caduque l'intervention de la famille...<br /> <br /> Chercher dans la coutûme les raisons de l'oppression est une piste évidente et à creuser, mais la dégradation des conditions de la femme et de l'homme sont également à creuser dans l'évolution des sociétés arabo-musulmanes et en particulier maghrébines (remplacement des valeurs traditionnelles par des valeurs marchandes, valorisation du caractère "occidentalisé" d'une personne, stress au travail, pression sociale à la réussite etc.)
S
Je ne crois pas que toute relation sexuelle releve de l'amour. Vous confondez entre un act sexuel et l'amour. Cote femme peut-etre, cote homme pas tout a fait. <br /> <br /> Et si la jeune fille tombe enceinte, l'homme gardera t'il son "amour"? <br /> <br /> Et vous exagerez trop lorsque vous parlez de la censure du droit a la vie, et a l'amour en Tunisie. Et pour argumenter votre discour, vous citez un exemple de chez les Talibans!! <br /> <br /> Parler de la Tunisie en opposant des exemples de chez les Talibans est subjectif et mal saint!<br /> <br /> Et c'est bien de preserver un peu ce que vous appelez les "bonnes moeurs", ce n'est pas de l'integrisme. Les conservateurs ne sont pas forcement des integristes. Deja notre societe est a la derive, elle n'en manque pas. <br /> <br /> Bref, appuyer ces discours par des mots genre "taliban", "integrisme", balances a droite et a gauche, ne rend pas credible.
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