Tunisie : laïcité à la française ou sécularisation à l’anglo-saxonne ?
« Le seul indicateur disponible pour mesurer la pratique religieuse est celui du nombre de mosquées, passé de 2390 en 1987 à 4483 en 2008. Malgré cette progression significative encouragée par l’Etat, qui nomme les imams, et d’après les statistiques compulsée par Jeune Afrique, la Tunisie demeure toutefois le pays Maghrébin qui a le plus d’habitants (2230) par lieu de culte comparativement au Maroc (800 habitants) et à l’Algérie (615 habitants avant la fermeture d’environ 40 000 lieux de prière dans les années 1990 pour raison de sécurité). Cette densité de population par mosquée est également supérieure à la France laïque, qui compte 1315 habitants par église. »
Ces chiffres -révélées par Jeune Afrique- montrent-ils le désintérêt des tunisiens de la pratique religieuse ?
Je ne le pense pas pour deux raisons :
1- Il est vrai que les mosquées durant les jours de la semaine sont moins remplis que les cafés de Tunis et de sa banlieue mais cela n’est pas a attribué à la baisse de la pratique religieuse mais plutôt au fait que cette pratique s’individualise. Désormais, beaucoup sont ceux qui préfèrent accomplir leurs prières chez-eux. Il existe même des pratiquants qui n’ont jamais mis les pieds dans une mosquée.
2- Ce constat se vérifie si l’on fait la comparaison entre les fidèles quotidiens des mosquées et ceux du Vendredi. A l’occasion de la prière du Vendredi, toutes les mosquées sans exception affichent complet. Pour manque de place, certains se trouve même dans l’obligation de prier sur les trottoirs et rues adjacentes des mosquées.
Faut-il rappeler aussi que c’est le développement du nombre des pratiquants des vendredis (à coté du port du voile de plus en plus répondu) qui a fait dire à certains qu’il existerait un regain de religiosité en Tunisie.
Regain de religiosité ! Info ou intox ?
Mohamed Kerrou, sociologue tunisien spécialiste de l’islam, n’est pas tout à fait d’accord.
Pour lui « Il n’y a pas de retour du religieux. Ce sont plutôt les spécialistes qui font un ‘‘retour’’ pour mieux comprendre le phénomène et découvrent, en l’observant avec les instruments des sciences sociales, que ce n’est plus le même religieux. Dominent désormais le ritualisme et l’ostentation. Au fond, les gens ne sont pas plus pratiquants et sont plus préoccupés par la cherté de la vie que par l’angoisse métaphysique. Ils empruntent le langage religieux pour exprimer leur malaise social. »
Pour Mr Kerrou, le symbole même de ce regain de religiosité en Tunisie, le voile, n’a plus le sens religieux d’autre fois :
« Aujourd’hui, on n’est plus en présence du même voile, soutient Kerrou. Traditionnellement, il est censé dérober le visage et le corps au regard. Or on a actuellement des ‘‘couvre-chefs’’ de couleurs variées, portés avec des jeans, des robes, et, même … des strings. Ils montrent plus qu’ils ne cachent. »
On ne peut qu’être d’accord avec ce constat sur le nouveau Hijab, simplement, on ne peut nier malgré cela le fait que l’idée de porter ce ‘‘couvre-chef’’ vient (dans la majorité des cas) d’une volonté de se conformer à une obligation religieuse. Ce sentiment là provient de l’omniprésence d’un discours religieux qui rend le port du voile obligatoire.
D’où le constat fait par certains selon lesquels il existerait une influence orientale (à travers les chaînes satellitaires des émirs du Golf) sur les tunisiennes, et –partant- un regain de religiosité en Tunisie.
Au-delà du port du voile et de la controverse qui l’entour (regain de religiosité ou pas), ce discours religieux oriental peut-il être menaçant pour la laïcité en Tunisie ?
« C’est de l’alarmisme déplacé, répond Kerrou. D’abord, la Tunisie n’a jamais été un pays laïc. Contrairement à ce qu’on écrit ici ou là, Habib Bourguiba était un musulman moderniste. Et le président Ben Ali puise dans l’héritage bourguibien en tenant compte de la tradition du pays. N’oubliez pas que l’Etat tunisien moderne n’a jamais été gouverné par des religieux, mais par des civils qui n’ont pas de conflit avec la religion du pays. C’est cela, la sécularisation au sens anglo-saxon du terme. Elle est tout simplement plus avancée ici qu’ailleurs dans la région. »
Je ne suis pas d’accord pour dire que prendre garde des signes d’une religiosité poussée (à l’extrémisme) est de l’alarmisme déplacé.
Certes, il ne faut pas voir un islamiste intégriste djihadiste derrière chaque barbue ou chaque voilée, mais il ne faut pas oublier aussi que ceux qui observent une pratique religieuse fondamentaliste n’auront qu’un pas à faire pour se transformer de musulmans pieux à islamistes purs et durs.
Tous les extraits et citations présents dans cet article sont issus de l’enquête : « Etre musulman au Maghreb » publiée par Jeune Afrique dans son 2498ème numéro.