Médias et extrémisme (2) : Al-Jazira, une chaîne de fanatiques ?
Au cours de la Table ronde organisée par Défi Médias en collaboration avec le MEPI sur les médias et l’extrémisme, un grand nombre de participants ont vu dans la chaîne d’information arabe Al-jazira ce qui semble être l’incarnation même de l’extrémisme.
Ainsi, Mme Saloua Charfi (Maître de conférence et chroniqueuse au site ‘‘Al-Awan’’) s’est posée la question s’il été « déontologiquement et professionnellement correcte pour un médias d’offrir régulièrement l’antenne à une personne comme Ben Laden qui ne fait qu’appeler à l’assassinat pour crime de différence religieuse, comme l’a fait à maintes reprises la chaîne d’information quatarie Al-Jazira ? » avant de poursuivre qu’on est « en droit de se demander si ce que présente ‘‘Al-Jazira’’ entre dans le cadre de l’information et de l’opinion ou bien dans celui du délit et si ce médias est un moyen d’information ou le complice de ceux qui appellent au crime ? »
Et Mme Charfi semble avoir opté pour ‘‘la criminalité’’ d’Al-Jazira lorsqu’elle nous dit plus loin qu « Al-Jazira ne soutient pas exclusivement Ben Laden mais d’autres personnages qui lui ressemblent.
Le 14 août 2006, au lendemain du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, et alors que les Libanais ramassaient encore leurs morts, la chaîne Al-Jazira n’a pas trouvé mieux que d’attiser les tentions entre les communautés et entre le gouvernement et l’opposition en choisissant, au cours d’une émission micro trottoir, de donner exclusivement la parole aux alliés du Hezbollah et à leur poser des questions dirigées. Ces questions tendaient à leur faire dire que le gouvernement était à la solde de l’ennemi et qu’il fallait par conséquent qu’il démissionne de gré ou de force (…) Et encore, récemment, M. Yasser Abdrabbou, le secrétaire général du comité exécutif de l’OLP, a dénoncé avec vigueur l’impartialité d’Al-Jazira dans sa couverture du conflit armée opposant le Hamas au Fatah au détriment de celui-ci. (Al-Hayet du 18 juin 2007). »
Ces accusations seront plus amplifier par M. Belkacem Mostefaoui (Maitre de conférence et chroniqueur au quotidien algérien ‘‘Al Watan’’) en évoquant la couverture de la chaîne de la tragédie algérienne.
Ainsi, pour lui « Al-Jazira continue dans cette façon soi-disant objective de traiter la tragédie algérienne et qui débouche sur la promotion de l’islamisme politique. Ainsi, à chaque fois qu’il y a un acte terroriste en Algérie, y compris celui d’avril contre le Palais du Gouvernement, Al-Jazira trouve le moyen de relayer le discours des terroristes. Cette chaîne, on le sait, est très perfide. Pour elle, hors du Qatar, tout est critiquable, mais rien au Qatar ne doit être critiqué. Par exemple, Al-Jazira ne critique pas la présence au Qatar même d’une base de l’armée américaine d’où étaient partis les avions pour bombarder l’Irak. Mais continue de couvrir les actes de barbarie qui ont lieu dans notre pays d’une façon pernicieuse et parfois même propagandiste. »
Tout cela découle, selon M. Hamadi Redissi, de la stratégie de l’off Shore. « On affirme que les activistes qui agissent dans nos pays sont des terroristes, alors que ceux qui agissent à l’étranger, en Afghanistan ou ailleurs, ne le sont peut être pas totalement. Grâce à cette pratique de l’off shore on critique la terreur qui existe dans tel pays et on élude celle qui existe dans tel autre. »
Une stratégie qui fait qu’ « ‘‘Al Arabia’’ nous est destinés nous autres Tunisiens, Algériens ou Libanais, mais pas aux citoyens de l’Arabie Saoudite qui subventionne cette chaîne. De même ‘‘Al-Jazira’’ est dirigée vers nous et non vers les Qataris. Ces chaînes de télévisions ont tendance à développer la culture off shore, ce qui se passe chez nous est toujours très bien, c’est ce qui ce passe ailleurs qui est mauvais. »
Un seul orateur, M. Larbi Chouikha (Maitre de conférence et chroniqueur) osera défendre la chaîne –ou plus exactement sa manière de couvrir l’information- en expliquant qu’il n’est pas du tout offusqué « que la chaîne ‘‘Al-Jazira’’ diffuse des enregistrements sonores de Ben Laden, tout comme [il n’est] point choqué que des médias américains ou autres fassent les échos des thèses développées par des néo-conservateurs américains, souvent hostiles aux Arabes et à l’islam. » avant de conclure que « la couverture des évènements et la diffusion des débats d’idées et des opinions les plus contradictoires, s’inscrivent toutes dans ce principe du droit à l’information qui ne doit être assujetti à aucune restriction d’ordre politique. »
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Ce fut donc un débat extrêmement intéressant qui reflète un sentiment d’hostilité qui commence à se développer chez un grand nombre d’intellectuels arabes face au traitement de l’information par Al-Jazira.
Des intellectuels qui considèrent cette chaîne populiste, soutenant les idées extrémistes et incapable de critiquer la politique de l’Etat qui la finance, en l’occurrence, le Qatar.
Seulement, ces intellectuels semblent oublier qu’Al-Jazira est faite à l’image de ses téléspectateurs, qu’ ‘‘on a la télévision qu’on mérite’’, et que le succès de la chaîne auprès des populations arabes démontre bien que ses quelques 45 millions de téléspectateurs partagent ses idées et font d’Al-Jazira la première chaîne d’information arabe.
Mais Al-Jazira est aussi une chaîne toujours imitée mais jamais égalée. N’oubliez pas que c’est grâce à cette chaîne que nous avons connu une véritable révolution dans le domaine de l’audio-visuel arabe en général et de l’information en particulier.
Ce n’est que lorsque cette chaîne a commencé à gêner que nous avons connu l’émergence d’autres chaînes concurrentes. C’était le cas d’Al-Hourra, la chaîne d’information à financement américain. Ou aussi et surtout de Al Arabia, la chaîne d’information financée par l’Arabie Saoudite. Et plus récemment encore France 24 (en arabe), la voix de la France.
Si Al Jazira est sans doute la voix de son maître (le Qatar) que dire alors d’Al Hourra (Etats-Unis) ou d’Al Arabia (Arabie Saoudite) ?
La première et malgré le fait qu’elle dément continuellement la propagation des idées de l’administration américaine ne peut toujours pas contredire ou s’éloigner de la politique extérieur des Etats-Unis. Alors que la deuxième et malgré son professionnalisme incontesté, elle se dirige de plus en plus vers une propagande déclarée et visible de la monarchie saoudite.
Al-Jazira, malgré ses excès et ses dérapages, n’a jamais constitué un porte drapeau aveugle du Qatar. Elle ne le critique certainement pas mais elle ne fait pas non plus son éloge. Ainsi, elle ne couvre pas les déclarations ou les déplacements de son émir comme s’il s’agissait d’événements exceptionnels.
Cela dit, je ne dit pas que la chaîne est exempte de reproches. Ses positions pro islamistes sont connues par tout le monde. Son antiaméricanisme aussi. Et personnellement je ne la regarde que rarement et à l’occasion de certains programmes seulement.
Mais de la à considérer que la chaîne est une alliée de Ben Laden et des groupes terroristes, c’est un pas que nous franchirons pas sans l’existence d’indices plus convainquent.