Bourguiba et l'islam (4)
« Ici gît Habib Bourguiba, libérateur de la femme ».
Cette phrase qui se trouve à l’entrée du mausolée des Bourguiba à Monastir résume parfaitement l’œuvre majeure du combattant suprême.
Certes, Bourguiba fut le libérateur de la Tunisie, son premier président, l’un des plus importants Leaders arabes…
Mais, Bourguiba fut surtout celui qui a eux le courage de promulguer un révolutionnaire Code du Statut Personnel (CSP) qui instaura la conception moderne de la famille en Tunisie et -surtout- libera la femme.
A jamais « Bourguiba restera associer à la libération de la femme » comme l’a dit le professeur Lotfi Chadli (dans une contribution faite à l’occasion du cinquantenaire de la promulgation du CSP à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis).
Le Code du Statut Personnel a été promulgué le 13 août 1956, avant même la promulgation de la Constitution tunisienne, ce qui fera dire à Lotfi Chadli qu’il fut « La véritable constitution de la Tunisie, du moins sa constitution sociale ».
Ce Code est révolutionnaire -comme nous l’avons dit- pour plusieurs raisons :
La plus importante est sans doute le fait de soustraire l’organisation, le règlement et le fonctionnement de plusieurs institutions, traditionnellement réglées par les religieux, des mains des Fouquahas à celles du législateur.
1- C’est ainsi que le pouvoir autoritaire dont disposait l’homme et qui lui donnait arbitrairement le droit de répudier sa femme sera complètement aboli. Désormais, le divorce ne se fait que par et devant le juge.
2- C’est ainsi aussi que « La polygamie est interdite. Quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la dissolution du précédent, sera passible d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 240.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, même si le nouveau mariage n’a pas été contracté conformément à la loi. » (Article 18 du CSP).
3- C’est ainsi aussi qu’on fixa l’age minimum du mariage « …l’homme avant vingt ans révolus et la femme avant dix-sept ans révolus ne peuvent contracter mariage… ».
4- C’est ainsi aussi que le consentement de la femme devient l’une des conditions sine qua non de la validité du mariage : « Le Mariage n’est formé que par le consentement des deux époux… » (Article 3 du CSP).
Alors que jusque là et conformément au rite Malékite, le père pouvait marier l’aînée de ses filles sans sa consultation.
5- C’est ainsi encore que le CSP régla partiellement la question de l’héritage de la femme. Je dis partiellement parce que même si l’égalité successorale entre hommes et femmes n’a pas été établie, la femme, après la promulgation du CSP a gagnée le droit d’hériter son père même si elle n’a pas de frères. Alors qu’auparavant, les règles de l’héritage faisaient que « la fille n’hérite pas tout ce que laisse son père si jamais elle n’avait pas de frères » comme l’avait rappelé Bourguiba en 1981.
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Mais, malgré son caractère révolutionnaire, Bourguiba a toujours tenu à démontrer que le Code n’était en rien contraire aux préceptes de l’islam. Oui, le Code s’oppose aux pratiques archaïques et rétrogrades qu’on avait l’habitude d’imputer à l’islam mais l’islam en est innocent, selon le combattant suprême.
C’est ce que dira Bourguiba en substance lors de la célébration de la fête de la femme tunisienne le 13 août 1965 lorsqu’il fustigera « les cerveaux gelés » qui avaient critiqués la promulgation du CSP et qui croyaient que « les pratiques et les bida [Innovations] faisaient partie de la religion ».
Et c’est aussi ce que confirmera récemment l’un des plus proche collaborateurs de Bourguiba M. Ahmed Mistiri : « Nous avons trouvés des difficultés à convaincre les gens de la conformité du Code du Statut Personnel à l’islam que se soit les étudiants de la Zitouna, les intellectuels ou la plupart des tunisiens. Nous avons essayés de les convaincre que le Code n’était ni réformateur ni révolutionnaire et qu’il ne s’oppose point à la religion même si nous avons accordés beaucoup de droits aux femmes » (témoignage de Ahmed Mistiri dans le livre de Amel Moussa « Bourguiba et la question religieuse », Cérès édition, Tunis, 2006, p.54).
Et c’est justement pour l’avoir considérer comme « contraire à l’islam » que les religieux vont profiter de la promulgation du CSP pour entamer leurs attaques contre Bourguiba. (Voir Bourguiba et l’islam (3) : Bourguiba et les religieux).
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Heureusement, malgré toutes les critiques et l’acharnement de certains religieux sur les acquis du Code afin de les neutraliser, 50 ans après, non seulement, le Code est toujours là mais aussi les acquis de la famille en générale et de la femme en particulier ont été renforcés malgré que beaucoup de travail reste à faire et notamment l’établissement de la pleine et entière égalité successorale entre hommes et femmes. En plus, le Code est désormais protégé par la constitution qui stipule depuis 1997 dans son article 8 que « … les parties politiques doivent respecter la souveraineté du peuple, les valeurs de la Républiques, les droits de l’Homme et les principes relatifs au statut personnel. »
Seulement, ce n’est pas pour autant que Bourguiba se sentira tranquille dans sa tombe car les dangers sont toujours là et le fait que plusieurs tunisiens et tunisiennes n’ont toujours pas intériorisés les acquis du CSP montre que nous devons rester vigilant.
En effet, par les lacunes que contient le Code encore, par sa non intériorisation par la plupart des tunisiens « qui parlent comme si le CSP n’existe pas » et par le fait que les juges conservent un large pouvoir d’interprétation, auxquels s’ajoute la réislamisation que connaissent plusieurs sociétés arabes et le refus de plusieurs femmes des acquis du code (!), nous ne pouvons que rejoindre le professeur Yadh Ben Achour lorsqu’il dit « Oui le Code est une révolution. Mais … c’est une révolution menacée ! ».
…Et pour prolonger la lecture
Ainsi donc prend fin cette série d’article que nous avons consacrés à la relation de Bourguiba avec l’islam. Pour prolonger vos lectures -pour ceux qui sont intéressés par le sujet- je vous soumets les deux (uniques) livres écrits sur la relation de Bourguiba avec l’islam :
● « Bourguiba et l’islam, le commandement et l’imamat », Lotfi Hajji, sud édition, Tunis, 2004
Il s’agit d’un livre très intéressant, passionnant et facile à lire. Ce livre contient en plus des documents rares tels que la fameuse fatwas de Ibn Bez et le discours de Bourguiba de 1974.
● « Bourguiba et la question religieuse », Amel Moussa, Cérès édition, Tunis, 2006
Je ne partage pas les idées de l’auteur de ce livre pour qui les actions de Bourguiba s’expliqueraient tantôt par sa haine envers ses adversaires (les religieux) et tantôt par son amour a sa mère qui expliquerait à lui seul son engagement en faveur de la femme (!).
Mais le livre reste malgré cela intéressant, non point pour la lucidité des idées de son auteur, mais plutôt pour l’importance des témoignages historiques que l’auteur a réussit à recueillir auprès de plusieurs anciens proches collaborateurs de Bourguiba.