Islam, Le pensable est-il possible ? (3) : Le rationalisme face au volontarisme
Pour Slim Laghmani l’ignorance et la méconnaissance de l’histoire des mu’tazilites est l’une des caractéristiques de notre tradition. Et l’auteur reviendra à plusieurs reprise sur cette histoire, sur les idées des mu’tazilites et la cause de leur échec.
En effet, et malgré le fait que l’islam sunnite ne connaît aujourd’hui qu’un seul courant de pensée (volontariste ash’arite) au point de faire la confusion entre pensée dominante et religion musulmane, la situation n’était pas ainsi dans les premiers siècles de l’Hégire :
« Dés la fin du premier siècle de l’Hégire, on pouvait distinguer les linéaments d’une tendance rationaliste et d’une tendance volontariste (ahl al-ra’y – ahl al-hadith). Au plan de la méthode d’interprétation, ce clivage s’est traduit par l’opposition de l’interprétation rationnelle (‘ta’wil) à l’interprétation littérale (hashwiyya).
Au cours du second siècle de l’Hégire, ces deux tendances se sont, si l’ont peut dire, institutionnalisées. La forme qui prit cette institutionnalisation fut remarquable puisqu’elle s’exprima par la constitution de deux disciplines qui se disputaient le champ du discours théologique.
La lecture rationaliste s’identifia, dès le départ, au mu’tazilisme fondé par Wasil Ibn ‘Ata (m. 131 H. /748) et Amr Ibn ‘Obeyd (m. 144 H. /761).
Le discours mu’tazilite fut organisé, une discipline naquit ‘ilm al-kalam. (…)
En face de ‘ilm al-kalam se constitua ‘ilm al-hadith, discipline établissant les règles de la collecte des traditions du Prophète, support nécessaire de la lecture littéraliste. Le Coran ne pouvait donner au littéraliste solution à toute interrogation, pour la découvrir tout en restant dans les limites de l’option choisie, il fallait une autre source textuelle, la Sunna du Prophète. On assista donc très vite à un énorme travail de compilation des hadith qui fut réglementé par la science que nous exposons.
Les mutakallimun, que l’on confondait alors avec les mu’taziltes, étaient extrêmement réticents à l’égard des hadith qu’ils tenaient le plus souvent pour apocryphes. Les muhaddithun ou traditionnistes étaient extrêmement hostiles à l’utilisation de la raison pour l’intelligence de la foi.
Au cours de ce second siècle de l’Hégire se constitua également le fiqh comme discipline.» (p.89-91)
« Le fiqh se présente comme un ensemble de qualifications de comportements précisément définis au cas par cas. (…)
« (Ces) cas envisagés par les fuqaha (les docteurs de la loi, pl. de faqih) sont souvent des cas imaginés et parfois extrêmement improbable. (…)
Cette casuistique théorique est le produit de l’ijtihad (effort intellectuel) des maîtres fondateurs du fiqh : Abu Hanifa (m. 150 H/ 767) ; Malik Ibn Anas (m. 179 H / 795) ; Muhammed Ibn Idris al-Shafi’i (m.204 H / 820) ; Ahmed Ibn Hanbal (m.241 H / 855). » (p.45)
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Nous étudierons les écoles de fiqh constituées par ces maitres fondateurs du fiqh dans la prochaine livraison.