Islam, Le pensable est-il possible ? (1)
« Lorsqu’on parcourt les catalogues de bibliothèques, on est frappé par le nombre d’ouvrages publiés au cours des dernières décennies sur le thème de l’islam et ses rapport avec la modernité (…)
Slim Laghmani, lui, ne s’engage dans aucune des pistes déjà exploitées. »
C’est ainsi que, Abdou Filali-Ansary, présente dans la préface du livre « Islam, le pensable et le possible » (Editions Le Fennec, Casablanca, 2005) le résultat des recherches effectuées par Slim Laghmani, professeur de droit international public et de philosophie du droit à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, depuis 1993 sur l’islam, la modernité, la laïcité, la charia, les droits de l’homme, la démocratie … et dont le livre contient une partie.
Un livre accès principalement sur les questions les plus urgentes qui se posent à l’islam et s’imposent aux musulmans.
Mais, si le fil conducteur entre les divers articles qui composent cet ouvrage (écrits à des périodes différentes) est plus au moins facile à repérer, nous nous interrogeons sur la relation qui peut exister entre des articles traitant principalement de la pensée musulmane, de l’identité islamique, de la relation entre liberté d’opinion, démocratie, et islam et un article relatif à la guerre contre l’Irak (réflexions sur la guerre contre l’Irak p.149-174) !
Ni la composition global de ce travail, ni le titre de l’ouvrage n’expliquent cette insertion. Cet article, qui reste malgré tout une très bonne analyse de la guerre américaine contre l’Irak et de la nouvelle politique extérieur des Etats-Unis, a perturbé l’agencement des idées développées par l’auteur. Sauf si M. Laghmani, en choisissant de l’insérer dans les toutes dernières pages de son ouvrage, voulait montrer -implicitement- que si on ne trouve pas de solutions aux problèmes du monde musulman, qu’il expose, alors l’Irak ne serra pas le dernier Etat arabo-musulman à être coloniser par les « puissances occidentales ».
Reste que, cette critique n’entrave en rien la qualité des articles qui composent cet ouvrage et l’immense plaisir que le lecteur trouve en parcourant les idées développées par son auteur, un réformiste pas comme les autres.
A partir d’aujourd’hui et sur trois semaines, je vous propose de décortiquer ce livre très intéressent à plus d’un égard.
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L’islam est-il compatible avec la modernité ?
Dés le début, Slim Laghmani s’attaque à l’une des questions les plus compliquées et les plus débattues dans le monde arabe : la relation entre la modernité et la tradition, avec cette ancienne/nouvelle interrogation qui habite l’esprit de chaque musulman : L’islam est-il compatible avec la modernité ?
Pour l’auteur, le concept de modernité et celui de tradition sont à l’origine du malaise qui nous confronte lorsqu’on essaye de rapprocher les deux termes.
La modernité a été conçu comme un modernisme qui « nous condamne à perdre notre essence » alors que la tradition est pensée comme un traditionalisme qui « nous condamne à perdre notre existence » (p.21) Et « Partir de tels concepts ne peut que mener à une opposition antinomique des deux termes, à une contradiction de type antagonique. » (p.21)
Que faut-il faire ? Comment peut-on présenter ces deux concepts sans tomber dans cette opposition ?
Pour Slim Laghmani, l’issue se trouve dans la critique des concepts de tradition et de modernité : « Du premier, il faut mettre en exergue l’idée de continuité et du second, l’idée de changement. Du premier, il faut supprimer l’idée de conservatisme, du second l’idée de rupture. » (p.22)
Et de conclure que non seulement les deux concepts ainsi envisagés ne sont plus contradictoires mais en plus ils deviennent complémentaires : « La tradition doit et peut être conçu comme la condition de possibilité du changement, c'est-à-dire de la modernité » (p.22)
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Toutefois, il existe deux conditions préalables à la réalisation de cette harmonie entre la tradition et la modernité à savoir la désacralisation de la tradition et la ‘‘désoccidentalisation’’ de la modernité.
Or la tradition « est, dans le monde arabo-musulman, essentiellement religieuse. Il est évidemment absurde de désacraliser ce qui, par nature, est sacré. Mais il est urgent, impératif de désacraliser la pensée religieuse. Celle-ci est humaine, historique et plurielle. Il est parfaitement légitime de la critique, de remettre à l’honneur les traditions de changement et de jeter dans l’oubli les traditions conservatrices et rétrogrades. » (p.23)
Seulement, l’auteur n’oubli pas de signaler qu’une telle désacralisation est aujourd’hui impossible car « la tradition vivante, agissante est conservatrice alors que la tradition éclairée, progressiste est encore largement ignorée, très peu diffusée. » (p.23)
C’est cette première tradition qui se trouve à l’origine de nos problèmes. C’est à cause de cette conception que nous avons connu autant de décadence et de déchéance (inhitat).
A cause de cette tradition, dira l’auteur plus loin, « Nous ne nous définissons pas par nous-mêmes, mais par un autre et nous ne (nous) définissons pas par ce que nous sommes, mais par ce que nous avons hérité (…) Nous ne nous projetons pas dans le futur, mais dans le passé. Pire, nous n’espérons pas d’autres avenir que l’impossible résurrection de notre passé. » (p.34)
Ce passé dont cette tradition s’acharne à idéaliser et à purifier de tout ce qui a pu l’entacher : « Les contradictions sont effacées ou atténuées afin que du passé nous ayons une image glorieuse, harmonieuse. » (p.35)
Résultat : le passé dont nous parle cette tradition n’est qu’une partie de ce que nous ont légué nos ancêtres. « Le reste est occulté, refoulé…»
La preuve ?
Nous nous sommes que des « passéistes infidèles au passé », comme je vous le montrerai dans le prochain blog